Le 28 novembre 2025, la Cour de cassation a examiné en assemblée plénière une affaire particulièrement sensible qui présente une chronologie remarquable :

  • 22 mai 1986 : disparition de Marie-Thérèse Bonfanti, jeune femme de 25 ans, dont la voiture est retrouvée près d’un immeuble. Une enquête est ouverte immédiatement. Un suspect, le propriétaire de l’immeuble, déjà condamné pour violences est placé en garde à vue mais remis en liberté faute d’éléments matériels.
  • 12 décembre 1989 : non-lieu confirmé et aucune avancée significative n’intervient pendant plus de trente ans.
  • 17 novembre 2020 : nouvelle information judiciaire ouverte sur initiative de la famille.
  • 8–9 mai 2022 : l’ancien suspect avoue avoir tué la victime en 1986 et indique l’emplacement du corps. Des fragments crâniens confirmant l’identité de la victime sont retrouvés. L’individu est mis en examen pour enlèvement, séquestration et meurtre.

Cette actualité permet de faire d’utiles rappels en matière de prescription.

  1. Rappels : la prescription en matière criminelle

Le dictionnaire de l’Académie française livre la définition suivante de la notion de prescription : « mode d’extinction de l’action publique intervenant lorsqu’un crime ou un délit n’a pas fait l’objet de poursuites au terme d’un délai déterminé par la loi ».

L’article 7 du Code de procédure pénale fixe depuis le 27 février 2017 à 20 années le délai de prescription pour les crimes.

Ce délai était de 10 années avant cette réforme.

Etant noté que l’article 112-2 du Code pénal énonce que les lois relatives aux délais de prescription s’appliquent immédiatement aux prescriptions qui ne sont pas encore acquises.

Aussi, cet allongement du délai de prescription ne s’applique pas aux crimes prescrits avant 2017.

En principe, le point de départ de ce délai d court à compter du jour où le crime a été commis

Cependant, il peut être fixé au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique lorsque l’infraction est occulte ou dissimulée.

Dans ce cas, le législateur a tout de même instauré un délai butoir : le délai de prescription ne peut excéder trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise.

Surtout, la prescription peut connaître une suspension dans le cas d’un obstacle insurmontable qui empêche les poursuites pénales conformément à l’article 9-3 du Code de procédure pénale.

Dans ce cas, il n’existe aucun délai butoir.

  1. La procédure qui a mené la saisine de la Cour criminelle

Le suspect a été mis en examen pour enlèvement, séquestration et meurtre suite à ses aveux en 2022.

Celui-ci a estimé que l’action publique était prescrite car plus de 10 ans s’étant écoulés depuis les faits.

Par la suite :

  • La chambre de l’instruction de Grenoble a maintenu la mise en examen.  Elle a considéré que le délai de prescription n’avait pas commencé à courir l’année du meurtre (1986) mais l’année des aveux (2022). Selon la chambre de l’instruction, plusieurs obstacles insurmontables auraient rendu les investigations et les poursuites impossibles : l’absence de scène de crime ; la « personnalité sans histoire » de la victime, qui n’aurait pas permis d’imaginer le mobile d’un meurtre ; la dissimulation de son corps. L’homme mis en examen a formé un pourvoi en cassation.
  • La chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé la décision de la chambre de l’instruction et renvoyé l’affaire devant une autre chambre de l’instruction. Elle a considéré que la suspension de la prescription n’était pas justifiée, les circonstances retenues par la chambre de l’instruction ne constituant pas un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique. Elle a d’ailleurs relevé qu’une information judiciaire avait été ouverte dès 1986 et que tous les actes d’investigations avaient pu être menés.
  • La chambre de l’instruction de Lyon se rebelle et juge que le délai de prescription n’était pas expiré et que l’information judiciaire pouvait donc se poursuivre.

L’homme mis en examen a formé un nouveau pourvoi en cassation et l’affaire a été renvoyée devant l’assemblée plénière de la cour de cassation.

Le demandeur au pourvoi a  soutenu en substance lors de l’audience du 28 novembre 2025 que :

  • Les chambres de l’instruction confondent volontairement le régime de la suspension des infractions occultes ou dissimulée (en l’espèce prescription en 2016 après écoulement du délai butoir) avec celui des circonstances insurmontables (aucun délai butoir) ce qui permettrait de poursuivre un crime alors que plus de 36 années se sont écoulés,
  • L’échec du droit au juge pour les victimes résidait dans l’échec de l’enquête puisque la seule circonstance insurmontable était l’absence d’aveu.

La position de la partie civile et du Parquet général repose sur l’existence de plusieurs obstacles insurmontables auraient rendu les investigations et les poursuites impossibles : l’absence de scène de crime ; la « personnalité sans histoire » de la victime, qui n’aurait pas permis d’imaginer le mobile d’un meurtre ainsi que la dissimulation de son corps.

Pour eux, le crime n’avait pu commencer à se prescrire puisqu’il était ignoré de tous.

Outre l’impunité que représenterait dans le cas d’espèce une absence de poursuites de l’auteur malgré ses aveux.

La question posée à l’assemblée plénière : les raisons de l’échec des investigations (absence de scène de crime, de corps et de mobile) peuvent-elle constituer un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique permettant de suspendre la prescription du crime de meurtre ?

Les enjeux de la solution prochaine dépassent ceux de la présente affaire :

  • Maintien du régime actuel de la prescription alors même que les travaux parlementaires de la loi du 27 février 2017 avaient envisagé sa suppression,
  • L’étendu du droit à une condamnation pour les victimes qui occupent de plus en plus de place dans le procès pénal,
  • L’efficacité des techniques modernes d’enquête alors même qu’un pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire a été créé à Nanterre en 2022 alors que le procureur général a précisé que sur les 22 procédures qualifiées d’enlèvement et séquestrations instruites au pôle cold cases « sept regroupant neuf victimes seraient susceptibles d’être remis en cause s’il était fait droit au pourvoi ».

Réponse le 16 janvier 2026 avec la position de l’assemblée plénière de la Cour de cassation !

Notre pôle pénal accompagne mis en cause et victimes, en Corse et sur le continent, avec une exigence constante de grande qualité.

Jean-Baptiste ORTAL-CIPRIANI

Jean-Baptiste ORTAL-CIPRIANI

Maître ORTAL-CIPRIANI est inscrit au Barreau de Bastia depuis le 16 février 2021 et dédie son expertise aux différents enjeux de la matière pénale à destination des entreprises, collectivités et particuliers.

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